mercredi 28 février 2018

Les Terrasses du Larzac



Les Terrasses du Larzac

Présentation :

En dehors d’un militaire et hormis quelques pacifistes ou écolos, qui donc peut situer avec précision le Larzac?
Un producteur de lait de brebis n’aura aucune difficulté à vous dire que ce grand causse est la voie d’accès historique au Languedoc viticole.
En partant du sud, remontez vers l’Auvergne. Dans votre dos, les plages bondées des stations balnéaires du golfe du Lion.
Adieu les effluves d’huile bronzante !
Bonjour le Languedoc, celui de l’intérieur.
Imaginez un instant que vous filez sur un croissant de lune renversé, un balcon incurvé composé de marches elles-mêmes tapissées d’un vaste puzzle fait de poches de garrigues, de vignes et d’oliveraies parsemées de roches grises ou rousses. Quelques mazets posés en bordure de vignes et de chemins, routes étroites menant aux villages de tuiles roses, ruisseaux à sec creusés dans la terre, le tout enserrant la masse rocheuse, froide et calcaire du plateau du Larzac.
Tôt ou tard, cette falaise se dresse devant vous. De ses 848 mètres de hauteur, le mont Saint-Baudile sert de repère dans le paysage. Vous allez à l’assaut d’une nouvelle frontière pourtant très ancienne. C’est le moment de choisir un village et de partir à la rencontre des vignerons des Terrasses du Larzac et de ce passé de plus d’un siècle où les familles adhéraient à la cave. Ce pourrait être Saint Saturnin de Lucian ou encore Pégairolles de l’Escalette, qu’importe. Dans chaque village, la coopérative était une seconde église. On y rassemblait les familles vigneronnes dans m’idée du partage des tâches et des outils, avec pour sel mot d’ordre : l’entraide.

Situé au nord-ouest de Montpellier, le vignoble des Terrasses du Larzac est marqué par la fraîcheur qui descend du plateau montagneux du Larzac, avec pour repère symbolique le Mont Baudile culminant à 848 mètres. 
Cette situation géographique particulière, avec des amplitudes thermiques jour et nuit pouvant atteindre plus de 20 degrés en été, favorise une maturation lente et progressive des raisins bénéfique pour la complexité aromatique et la fraîcheur des vins. 

Pour révéler toute la grandeur de ce terroir, les vignerons des Terrasses du Larzac jouent sur la gamme des 5 cépages languedociens (grenache, syrah, mourvèdre, cinsault, carignan) afin d'exprimer au mieux la personnalité de chaque type de sol (argilo-calcaire, ruffes(4), galets, etc.), sachant qu'ici le terroir prime le cépage. Enfin, par un minutieux travail d'assemblage (3 cépages au minimum) et un élevage d'au moins 12 mois, une signature unique est donnée à ces vins d'appellation.

Depuis 2014 les Terrasses du Larzac sont une AOC à part entière.





L’histoire :

Les premières vignes :

La présence de la vigne dans les Terrasses du Larzac remonte à l’époque romaine, où le pays du lodévois avait une situation privilégiée : il s’étendait le long de la voie gallo-romaine, artère de circulation particulièrement empruntée, qui joignait Cessero (St Thibéry) à Segodunum (Rodez).

L'influence Bénédictine :
En 782, Witizia, (fils du Comte de Maguelonne et grand échanson de Louis le Pieux) sous le nom de Benoît, crée le Monastère d’Aniane. L’Abbaye d’Aniane, « mère » des abbayes bénédictines européennes, donna alors naissance à près de 50 abbayes des Pyrénées au Rhône. Les bénédictins attachaient une grande importance à, la possibilité de planter de la vigne là où ils s’établissaient. La décision définitive de construction d’une abbaye n’était prise que lorsqu’on avait la certitude que la vigne pouvait prospérer sur le site. Aussi, le développement des abbayes a permis la mise en valeur de vastes espaces inoccupés dans la région de Clermont-l’Hérault et de Lodève, notamment grâce à la culture de la vigne.
L’influence des moines bénédictins d’Aniane et St-Guilhem le désert s’est étendue vers la vallée de la Buèges, comme en témoignent les églises romanes et prieurés qu’on y trouve. Les premiers vins de Buèges, issus de vignobles en terrasses surplombant la vallée, étaient élevés dans les caves des prieurés bénédictins fondés dans la vallée par l’abbaye de St-Guilhem-le-Désert, au Xème ou XIème siècle. Par la suite, les vignerons travaillaient eux-mêmes leurs raisins, dans des cuves tapissées de pavés de terre vernissés, situées dans les caves voûtées de nombreuses maisons de village.
 
Le XVIe siècle :
A partir du XVIème siècle, les seigneurs ont autorisé l’essartage des piémonts. Les terres ainsi défrichées accueillirent des plantations de vignes, d’oliviers et d’amandiers. Souvent organisées en terrasses (les faysses), les parcelles exigeaient un épierrement régulier. Les compoix(1) de l’époque montrent que tous les habitants possédaient au moins une pièce de vigne qui était associée à la culture d’arbres fruitiers. Les fruits étaient destinés à l’autoconsommation, le vin apportait quant à lui la monnaie.

Eaux de vie, commerce local :
Le XVIIème et le XVIIIème siècles ont été marqués par deux grands événements viti-vinicoles dans la région des Terrasses du Larzac :
- l’essor de la production des eaux-de-vie, avec la création d’une distillerie dans presque chaque village viticole, qui a été source de grande richesse pour les vignerons.
- le développement et le succès du commerce local : avant que le Pas de l’Escalette ne facilite l’accès au Massif Central (XVIIIème siècle), seuls les sentiers muletiers passant par Arboras permettaient d’y arriver. Montpeyroux était un important centre de transport muletier largement ouvert sur le monde du commerce.

Echanges commerciaux :
Les échanges avec les populations du Massif central étaient nombreux : celles-ci envoyaient des métaux extraits de leurs mines, de la viande, du lait et des céréales ; en retour les vignerons leur faisaient parvenir du vin.

A Pégairolles de l’Escalette, l’ensemble du paysage est marqué par les murets horizontaux qui tranchent avec les clapas verticaux, formant un maillage géométrique sur les pentes. On dénombre sur la commune plus d’une cinquantaine de capitelles(2) qui datent du XVIIIème. Elles servaient d’abris ou de remise aux bergers et aux vignerons sur les parcelles les plus éloignées. Toutes ces constructions de pierre ont été réalisées au cours d’un long travail d’épierrement, qui a permis de stabiliser les éboulis du Larzac, en créant un vignoble en terrasses, et de bonifier les sols.

Le Décret de Marly :
La parution du décret de Marly en 1770 a autorisé le défrichement à grande échelle, et le vignoble a connu une nouvelle extension. La viticulture s’est installée et s’est imposée dans les garrigues comme une activité intensive et de bon rapport.

XIXème et XXème siècles :
1850 , l’oïdium est apparu, puis le phylloxera : la culture de la vigne est anéantie en quasi-totalité. Le remède pour lutter contre cet insecte est trouvé à Montpellier, certains vignerons choisissent de relever le défi et à l’aide de greffe sur plant américain replantent.


L'appellation :

  Aire de production :

La récolte des raisins, la vinification, l’élaboration et l’élevage des vins sont assurées sur le territoire des 32 communes suivantes du département de l’Hérault : 
Aniane, Arboras, Argelliers, Le Bosc, Brissac, Causse-de-la-Selle, Ceyras, Gignac, Jonquières, Lagamas, Lauroux, Mérifons, Montoulieu, Montpeyroux, Moulès-et-Baucels, Murles, Octon, Pégairolles-de-Buègues, Pégairolles-de-l’Escalette, Poujols, Puéchabon, Saint-André-de-Buègues, Saint-André-de-Sangonis, Saint-Félix-de-Lodez, Saint-Guiraud, Saint-Jean-de-Buèges, Saint-Jean-de-Fos, Saint-Jean-de-la-Blaquière, Saint-Privat, Saint-Saturnin-de-Lucian, Soubès, Usclas-du-Bosc.

















 
Un terroir :
Type de sol :
Géologie très variée : 
- sol sablo- argileux chargé de cailloux, ruffes(4) rouges en couches horizontales - marno calcaires dominées par les hautes falaises de calcaire jurassique,
- vers l’Hérault : dépôts de pierrailles calcaires cryoclastiques(3) puis terrasses à galets successives de l’Hérault.

 

Parfois chaotique et aride quand il n’est pas pris par la main de l’homme pour la culture de la vigne et de l’olivier, le terrain apparaît comme déchiqueté par les bouleversements de la nature. Lorsque l’on touche  à la composition des sols et sous-sols, l’affaire est plus complexe. Un géologue confirmera que l’on domine bien d’ici les « hautes terrasses de l’Hérault », des zones de garrigues où les calcaires de différentes ères se chevauchent parfois et se mêlent aux argiles, aux sables, aux schistes, aux ruffes(4) et aux terres rouges. D’autres poches de terroirs où la roche affleure, d’autres constituées d’éboulis calcaires, de galets roulés, d’un amoncellement de grès sur des terres plus anciennes. Charles Walter Pacaud, vigneron confirme : « Dans mes parcelles, il m’arrive de trouver jusqu’à 10 types de roches différentes. » Jean-Philippe Granier, qui dirige l’appellation Languedoc, relève que ce qui apparaît comme une difficulté majeure à première vue se révèle être une force : «  Nous avons beaucoup de sols et de cépages à notre disposition et c(est ce qui fait notre richesse ».

Agrobiologie & Climat :
La progression de l’agrobiologie est telle dans les terrasses que l’on estime que plus de la moitié des vignerons est certifiée bio.
Dans une zone climatique qui connait de grandes amplitudes thermiques, l’éloignement de la mer conjugué à la proximité du Causse apportent une relative fraîcheur des nuits estivales. Sans nul doute cette fraîcheur est l’élément qui singularise le plus les vins, mais elle n’offre pas la même intensité ni la même qualité selon les terroirs.
Ce n’est pas tant cette fraîcheur qui compte, mais plutôt son rapport avec la matière, une mesure qui touche à l’équilibre. 
Avec une amplitude thermique pouvant atteindre 20°C en été et des altitudes variant de 80 à 400 mètres (commune de Saint-Privat) sur environ les 2000 ha de vignes , la maturation des raisins est lente permettant des sommets de complexité d’arômes dans les vinifications et un surcroit de finesse dans les vins.
 
Son parcours :
En 2004, l’idée d’une appellation Terrasses du Larzac naît avec l’autorisation d’utiliser ce nom sur les bouteilles de vins rouges après la mention obligatoire de l’époque : Coteaux du Languedoc, appellation née en 1985 et devenue en 2007 Languedoc tout court, appellation qui sert désormais de socle régional. Cette mise en avant a imposé une délimitation parcellaire et des conditions de production particulières garantes d’un haut niveau de qualité et de la typicité du terroir.
Déjà entre 1945 et 1960, des hommes avaient reconnu la valeur d’une douzaine de terroirs comme ces mêmes Coteaux du Languedoc, Pic Saint Loup, Saint Chinian et Faugères en leur octroyant le titre de vins délimités de qualité supérieure (VDQS).
La marche vers la reconnaissance qualitative intervient en 2014 pour Les Terrasses du Larzac. 
A partir du millésime 2014 les vignerons qui acceptent les nouvelles règles de production peuvent mettre en avant le nom de l’appellation.Aujourd’hui, près de 80 domaines sont dans l’aventure, certains déjà reconnus parmi les meilleurs de Languedoc. Le négoce local s’implique en investissant dans le vignoble en rachetant des propriétés phares. Quant aux coopératives elles sont cinq à adhérer.

Réglementation :

 

Condition de production :
L’appellation contrôlée Terrasses du Larzac a des conditions de productions strictes.
Les raisins sont issus de parcelles identifiées par les producteurs et approuvées par l’INAO.
La définition de cette AOC est décrite dans le décret du 17 Octobre 2014.

(Ci-après les liens d’accès aux cahier des charges INAO)
 
Aire géographique :
32 communes peuvent prétendre à élaborer des vins de l’appellation Terrasses du Larzac. (Se reporter à la liste ci-avant).

Encépagement :
Vins rouges exclusivement.
>>> Pour le blanc des débats entre vignerons sur l’encépagement sont en cours et il n’est pas interdit de penser qu’un comité se penchera bientôt sur le sujet. Le rosé, quant à lui, n’est pas à l’ordre du jour, les vignerons se contentant de le commercialiser sous l’appellation Languedoc.

Cépages :
    Les vins devront être issus d'un assemblage d'au moins trois cépages, que les vignerons auront à choisir parmi les quatre principaux (grenache, mourvèdre, syrah et carignan) et les cinq accessoires (cinsault, counoise, lledoner pelut, morrastel et terret noir).  
    Les cépages principaux devront représenter au moins 75 % de l'assemblage, le cinsault ne devant pas excéder 25 % et les autres cépages accessoires 10 %. Jusqu'à présent, l'assemblage, déjà obligatoire, était limité à deux cépages.
Le carignan est reconnu comme cépage central dans les vins. Ce cépage a longtemps été décrié dans le Languedoc, souvent à raison (mal maîtrisé, il donne au vin des caractères grossiers et acides), ce qui a poussé les viticulteurs à l'arracher massivement. " Nous avons toutefois réussi à faire changer d'avis les consommateurs et l'INAO grâce à un travail important et précis dans les vignes et à une baisse drastique des rendements’’ évoque Vincent Goumard (du Mas Cal Delmoura et Ancien Président des Terrasses). Dès lors, le carignan a retrouvé son identité languedocienne et apporte aux vins un supplément d'énergie et de fraîcheur.

Titre alcoométrique :
    Les vins doivent provenir de raisins récoltés à bonne maturité.
Le taux d’alcool doit être supérieur à 12%.

Rendement :
    Le rendement de base de l'AOC ne doit pas dépasser 45 hectolitres à l’hectare.

Entrée en production des jeunes vignes :
    L’appellation ne peut être accordé aux jeunes vignes qu’à partir de la 5ème feuille.

Distance de plantation à l’hectare :
    La densité de plantation est depuis 1990 de 4000 pieds à l’hectare.
    La distance maximale entre les rangs de 2.25 m.

Conduite du vignoble :
    Taille courte qui ne peut présenter plus de dix yeux francs par pied.



(1) Document emblématique du Sud de la France, pays de « taille réelle » (où l’imposition portait sur les  biens), le compoix d’une communauté contient, sous le nom de chaque propriétaire et par articles séparés, la description de toutes les possessions, leur contenance, leurs confronts, leur nature, leur qualité et leur estimation. Certains compoix, dit cabalistes, énumèrent également les biens mobiliers : cheptel, meubles, industries etc. Le compoix permettait de répartir sur la communauté la part qu’elle devait supporter dans la taille royale du diocèse, additionnée du montant de ses propres dépenses.
(2) Une capitelle est une cabane construite en pierre sèche, c’est-à-dire sans mortier, dans les anciennes garrigues des villes du département du Gard.
(3) a gélifraction ou cryoclastie  représente la destruction des matériaux rocheux sous l'effet des alternances de gel-dégel, en raison des contraintes exercées par les changements d'état de l'eau dans les vides (pores, fissures) de la roche.
(4) La ruffe est le nom local employé dans l’Hérault pour désigner les terres rouges formées de pélites, une classe de roches sédimentaires détritiques dont les éléments ont un diamètre inférieur à 1/16 mm.



>>> Sources : Revue : 12°5 (N° 1)
                        Sites :   www.terrasses-du-larzac.com
                              https://fr.wikipedia.org/wiki/Terrasses-du-larzac


Claude F. le 27.02.2018

vendredi 23 février 2018

Viticulture - pépinières viticoles

Viticulture : regard sur les pépiniéristes viticoles



Viticulture   par Arnaud Gonzague (L’Obs du 22.02.2018)

Lilian Bérillon dénonce le clonage des vignes françaises. Et sillonne l’Europe à la recherche de sarments anciens pour sauver notre patrimoine national.




Drôle d’endroit, pour rencontrer un lanceur d’alertes ; à Jonquières (Vaucluse), Lilian Bérillon vit et travaille dans la pépinière qui porte son nom – un beau terrain calme où s’alignent les pieds de vigne noirs, encore endormis sous l’hiver. Ce pépiniériste viticole, dont le métier consiste donc à cultiver les plants livrés aux viticulteurs, en a gros sur le cœur.
Le titre un peu apocalyptique de son essai (voir les bonnes feuilles en fin de l’article) le dit assez : « Le Jour où il n’y aura plus de vin ».
Quoi ?
Plus de vin au pays des Chevaliers de Tastevin et de la licence IV, premier exportateur mondial ?
«  Le titre est un peu provocateur mais hélas, il est a peine exagéré, soupire ce quadragénaire inquiet à l’accent provençal fleuri comme une prairie. Nous sommes dans une situation d’urgence : il faut sauver la diversité du patrimoine viticole
Selon lui, l’âme de la plupart des vins français est en train de foutre le camp. On ne parle pas ici de grands crus, mais de 95% des vins abordables que M. et Mme Tout-le Monde apprécient et qui seraient en voie de standardisation massive.
En cause ?
Une pratique agronomique majoritaire dans la viticulture tricolore : le clonage. Oui, oui, il s’agit bien de la technique de reproduction génétique qui a permis la naissance de la brebis Dolly en 1996. C’est un fat peu connu, mais le clonage des cépages concerne la quasi-totalité des vignes françaises (voir infographie ci-contre) et se pratique depuis les années 1960.
« Le rendement des vignes qui avaient été ravagées par de nombreuses maladies, dont le mildiou et le phylloxéra depuis la fin du XIXème siècle, était jugé insuffisant à cette époque, raconte Michel Bettane, célèbre critique de vin, coauteur du ‘’Guide Bettane et Desseauve’’. La science a donc décidé de choisir les individus les plus résistants aux maladies dans chaque variété de cépage, puis de les cloner. » Une technique qui a fait exploser la productivité du vignoble, mais qui outrage les oenophiles, selon Lilian Bérillon : « Un vin est comme un groupe de copains : sa richesse provient de la diversité des individus qui le composent. Si tous les raisins d’un cru sont à l’identique, il perd naturellement en diversité, donc en nuances. »

Autre postulat, avancé depuis cinquante ans par les partisans du clonage, et que conteste notre pépiniériste énervé, l’idée qu’une armée de clones d’un seul cep de merlot, de cabernet ou de grenache peut offrir une résistance durable contre les maladies virales. Contestable, parce que dès qu’une maladie, à force de mutations, finit par toucher un plant, elle ravage d’un coup … tout un vignoble. « C’est en partie ce qui explique qu’aujourd’hui 75% des vignes françaises sont composées de cépages sensibles », assure Bérillon. « Sensible », autrement dit des vignes en voie de dépérissement à cout ou à moyen terme.

Et la tentation qu’ont les vignerons d’arracher les plants malades pour replanter massivement du végétal tout neuf serait une autre catastrophe pour les amateurs de bons crus, estime-t-il. « Parce qu’il faut savoir qu’un plant de vigne traditionnel a la durée de vie d’un homme, de cinquante à cent ans – parfois davantage. Ce n’est pas le cas d’un plant cloné, qui ne dure que de quinze à vint-cinq ans. Or, vint-cinq ans, c’est le temps qu’il faut pour qu’une vigne atteigne sa maturité et donne un vin qui ait une âme. Dès qu’un plant accède à ce qu’il peut donner de mieux, il meurt. On marche sur la tête ! »
Une affirmation confirmée par Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992 et patron du Bistrot du Sommelier à Paris : « Il faut que la vigne ait le temps de prendre possession de son terroir, de bien enfoncer ses racines à plusieurs mètres et d’y puiser les oligo-éléments pour donner une vraie personnalité à un vin. Une personnalité unique, comme l’est son sol. »

Mais comment enrayer la machine à standardiser les saveurs dans un paysage composé de vignes ç courte vie ? Tout simplement en recueillant et en replantant les sarments issus des vieilles vignes, doc, non clonées. On écrit «tout simplement», mais cette sélection dite « massale » (par opposition à la sélection clonale) est délicate. Elle exige de la technicité et beaucoup de patience.
C’est précisément la mission que s’est assigné » Lilian Bérillon depuis une quinzaine d’années : constituer ce qu’il nomme son « arche de Noë », soit une collection de sarments en voie d’extinction, indemnes encore des tripatouillages de la génétique. Un peu partout en France et en Europe (Italie, Espagne, Allemagne), l’homme se rend dans les vignobles qu’il sait prometteurs et prend le temps d’observer la tenue des pieds, la couleur des feuilles, la taille des raisins des raisins juste avant la vendange. Pas de précipitation : il revient deux ou trois années de suite pour être sûr d’emporter dans sa besace un sarment sain. « A ma grande surprise, aucun vigneron, jamais ne m’a demandé d’argent en échange d’un sarment. Même les propriétaires les plus prospères comprennent la démarche et me laisse entrer. » Ce sarment est ensuite greffé à un porte-greffe, mis en terre dans sa pépinière, et bichonné comme un trésor, avant d’être livré aux quelques 200 clients qui font appel à ses services. En une grosse décennie, son arche s’est étoffée d’environ 4000 individus, représentant une quarantaine de cépages les plus authentiques d’Europe.
Lilian Bérillon, fils et petit-fils de pépiniériste viticole, se montre scrupuleux dans son travail, pour ne pas dire hyper stressé. « Mes amis me conseillent souvent la méditation », reconnait-il en souriant, lui qui parle vite, dort peu et a divorcé deux fois « en raison d’un surinvestissement dans le boulot ». C’est d’ailleurs par refus d’une situation professionnelle qu’il jugeait trop confortable et trop peu honnête qu’en 2000, il a claqué la porte du groupement agricole où il œuvrait comme vendeur de ceps. « Je n’avais même pas 30 ans, je gagnais l’équivalent de 10 000 euros par mois. Mais le vendais des ceps clonés à des prix élevés, sans me soucier de ce qu’il adviendrait d’eux. Un jour, je n’ai plus pu me regarder dans la glace ; j’ai revendu ma Mercedes et je suis repart de zéro avec l’idée de travailler en respectant les hommes et les plantes. »

« Le Jour où il n’y aura plus de vin » n’épargne d’ailleurs pas quelques-uns de ses confrères pépiniéristes, jugés trop âpres au gain, voire franchement cyniques. Forcément, quand leurs plants de vigne clonés ont une durée de vie limité, ils en écoulent davantage… Un propos qui fait sursauter David Amblevert, président de la Fédération française de la Pépinière viticole (FFPV), à laquelle Lilian Bérillon adhère : « Attention aux discours simplistes ! Les plants clonés peuvent tenir quarante ans, voire plus, c’est scientifiquement prouvé. Et la sélection clonale ne vas à l’encontre de la diversité : il existe près de 300 cépages en France ? c’est une richesse patrimoniale que le monde entier nous envie. Je ne peux pas non plus laisser dire que le clonage est le fautif du dépérissement du vignoble, quand des dizaines de causes ont été identifiées. »

Même si Lilian Bérillon insiste sur le fait que le clonage est « un système qui arrange beaucoup de monde », notamment les vignerons produisant industriellement du vin peu qualitatif, ses coups de griffe contre les pépiniéristes ne passent pas inaperçus. « Il a reçu un coup de fil d’un responsable de le FFPV, témoigne Laure Gasparotto, journaliste au « Monde » et coauteur de son essai. Il lui a dit : « Si les confrères veulent t’exclure de la Fédé, je ne pourrai rien pour toi… » C’est un vrai risque qu’il prend, car ce serait difficile pour lui de poursuivre son activité sans l’appui de la FFPV ? » Mais Bérillon a la peau dure. Quand en 2004, il a démissionné de la présidence des pépiniéristes du Vaucluse et de la vice-présidence de la FFPV, parce qu’il défendait le droit d’emprunter les méthodes de l’agriculture bio (une hérésie dans sa profession), il a subi la vengeance de quelques aimables confrères : « Ils m’ont dénoncé auprès des services de l’Etat, j’ai dû supporter tous les contrôles possibles et inimaginables… »

Mais le jeu en vaut la chandelle, jure-t-il. Il faut d’ailleurs l’entendre parler de son travail pour le comprendre : il s’étend longuement sur le choix de laisser reposer le sol longtemps (de cinq à sept ans) avant de replanter, le choix de lui donner peu d’eau, de ne pas le gaver d’engrais, de pratiquer des greffes à l’ancienne - comme le faisait sa mère -, de tailler les sarments  en respectant le sens de la sève pour se prémunir contre les maladies…Ce savoir-faire, indispensable pour fabriquer les meilleurs crus, coûte évidemment cher (« Trois fois le prix d’un plant ordinaire »,  reconnait-il), mais il ne le réserve pas aux plus fortunés de ses clients comme le Château Latour possédé par François Pinault ou le Cheval Blanc de Bernard Arnault. « Je travaille aussi avec le domaine Roche-Audran dans le Vaucluse ou le Mas de Libian en Ardèche, qui produisent des bouteilles entre 8 et 15 euros. Pour eux, c’est un investissement élevé mais rentable à long terme, car de bons ceps , correctement entretenus, passerons des décennies. »

Le monde viticole commence en effet à affronter une dure réalité : celle du réchauffement climatique et de sa fatale conséquence, le stress hydrique. Autrement dit, l’insuffisance d’eau dans les sols, qui hâte encore le dépérissement de la plupart des plants. La plupart…mais pas ceux de Lilian Bérillon. « Quand on lui a laissé le temps de bien enfoncer ses racines, qu’on l’a bien entretenu, un plant est allé chercher de la fraîcheur dans les profondeurs du sol. Et il sera naturellement résistant au réchauffement, sans qu’il soit besoin de créer de nouvelles variétés en éprouvettes, comme c’est le cas aujourd’hui. »

Retrouver le bon sens, le temps long et les gestes du passé plutôt que de s’activer dans un labo. Pour l’homme de Jonquières, « ce n’est pas simplement une philosophie pour le vin : c’est une philosophie pour la vie ».


‘’Qu’avons-nous fait de notre patrimoine ? ‘’

Dans l’ouvrage ‘’Le Jour où il n’y aura plus de vin(*)’’, Lilian Bérillon lance un cri d’alarme.
Extraits :

je suis fatigué. J’aimerais tellement que les vignerons comprennent mon message. Que la presse l’explique, que les consultants me fassent intervenir ; c’est mon métier, le végétal. Mais ce métier n’existe plus, le vignoble se dépérit et personne ne réagit. C’est dur, très dur. Pas un seul jour ne passe sans que mon travail m’obsède. Je souhaiterais que la viticulture réfléchisse différemment, qu’elle prenne le temps, qu’elle remette en pratique des règles simples de bons sens. […]

Les vignerons ont oublié beaucoup de gestes qui faisaient partie de leur métier. Lors de mes expéditions dans les vignobles, je remarque des pratiques totalement irrespectueuses. Rien ne m’agace plus de visiter un domaine dont le chai est flambant neuf et le vignoble en mauvais état. Souvent, l’investissement s’effectue dans le visible, pas dans la matière première. Or un vignoble doit être entretenu au même titre qu’il faut refaire les peintures, les toitures ou autre réparations dans une batisse. Ensuite, même si le vigneron acquiert les plus beaux plants du monde, issue des meilleures sélections et cultures, s’il ne prépare pas son sol à les recevoir, il perd tout l’intérêt de la qualité des plants. Ses gestes se révèlent aussi importants que l’état sanitaire de son végétal […]
La recherche aujourd’hui travaille sur des nouvelles variétés, davantage résistantes. Et la viticulture applaudit. Elle en veut. Les scientifiques affirment qu’avec ces nouveaux clones, on aura moins recours aux produits chimiques. Mais on prend le problème à l’envers. Dans le vignoble, il existe déjà des plants qui ont résisté aux aléas climatiques, qui ont une mémoire. Il faut partir à leur recherche. Ces variétés anciennes apportent souvent de la fraîcheur dans les assemblages. On trouve qu’il y a davantage d’alcool dans les vins aujourd’hui. Or, il existe déjà des vieux cépages qui produisent moins d’alcool, comme le cinsault, et qui permettent d’équilibrer les vins. Grâce à eux, le vigneron se retrouve avec une qualité de récolte plus équilibrée, moins alcoolisée. Mais il faut accepter de prendre plus de temps […]

Qu’avons-nous fait de notre patrimoine ? Et si un jour, à force de jouer avec le vivant, d’accélérer son temps de reproduction pour le vendre, il n’y avait plus de vignes ?
Comme l’humain, la vigne ne devrait pas être un moyen, un objet d’échange, mais une fin en soi. Certes, on parle de végétal, mais on ignore à quel point nous sommes liés à lui. On est bien parvenus à faire entrer dans nos lois le fœtus comme un individu. Désormais, quand je parle d’un cep, c’est-à-dire d’un pied de vigne, je parle d’un être vivant à part entière, avec sa beauté, sa force et ses faiblesses, ses spécificités. […]

Comment accepter que la vigne soit malade ?
Intrinsèquement malade. Lors d’une réunion du syndicat, j’ai mis la culture biologique à l’ordre du jour. Le sujet de l’environnement me semblait aller de soi. En réunion, le sujet a été abordé deux minutes. Le temps pour un pépiniériste de lancer : « Quel est le con qui a mis les plants bio à l’ordre du jour , On sort déjà d’une période difficile ! »
On n’en a plus parlé. C’était violent. J’ai tout de même opté pour la culture biologique dans ma pépinière.[…]

Aujourd’hui, la pépinière française se porte mieux car elle a obtenu des subventions européennes. Conséquence : la plupart des plants vendus aux vignerons le sont grâce aux aides dont ils bénéficient.
Moins regardants sur la qualité des plants, les vignerons reçoivent environ 10000 euros pour un hectare planté. Moi, je me suis mis en marge de ce système préorganisé. En 2015, je suis le seul des 608 pépiniéristes français.

© Grasset 2018
(*) Par Lilian Bérillon et Laure Gasparotto, éditions Grasset


Bonne lecture.  Claude F. le 23.02.