vendredi 23 février 2018

Viticulture - pépinières viticoles

Viticulture : regard sur les pépiniéristes viticoles



Viticulture   par Arnaud Gonzague (L’Obs du 22.02.2018)

Lilian Bérillon dénonce le clonage des vignes françaises. Et sillonne l’Europe à la recherche de sarments anciens pour sauver notre patrimoine national.




Drôle d’endroit, pour rencontrer un lanceur d’alertes ; à Jonquières (Vaucluse), Lilian Bérillon vit et travaille dans la pépinière qui porte son nom – un beau terrain calme où s’alignent les pieds de vigne noirs, encore endormis sous l’hiver. Ce pépiniériste viticole, dont le métier consiste donc à cultiver les plants livrés aux viticulteurs, en a gros sur le cœur.
Le titre un peu apocalyptique de son essai (voir les bonnes feuilles en fin de l’article) le dit assez : « Le Jour où il n’y aura plus de vin ».
Quoi ?
Plus de vin au pays des Chevaliers de Tastevin et de la licence IV, premier exportateur mondial ?
«  Le titre est un peu provocateur mais hélas, il est a peine exagéré, soupire ce quadragénaire inquiet à l’accent provençal fleuri comme une prairie. Nous sommes dans une situation d’urgence : il faut sauver la diversité du patrimoine viticole
Selon lui, l’âme de la plupart des vins français est en train de foutre le camp. On ne parle pas ici de grands crus, mais de 95% des vins abordables que M. et Mme Tout-le Monde apprécient et qui seraient en voie de standardisation massive.
En cause ?
Une pratique agronomique majoritaire dans la viticulture tricolore : le clonage. Oui, oui, il s’agit bien de la technique de reproduction génétique qui a permis la naissance de la brebis Dolly en 1996. C’est un fat peu connu, mais le clonage des cépages concerne la quasi-totalité des vignes françaises (voir infographie ci-contre) et se pratique depuis les années 1960.
« Le rendement des vignes qui avaient été ravagées par de nombreuses maladies, dont le mildiou et le phylloxéra depuis la fin du XIXème siècle, était jugé insuffisant à cette époque, raconte Michel Bettane, célèbre critique de vin, coauteur du ‘’Guide Bettane et Desseauve’’. La science a donc décidé de choisir les individus les plus résistants aux maladies dans chaque variété de cépage, puis de les cloner. » Une technique qui a fait exploser la productivité du vignoble, mais qui outrage les oenophiles, selon Lilian Bérillon : « Un vin est comme un groupe de copains : sa richesse provient de la diversité des individus qui le composent. Si tous les raisins d’un cru sont à l’identique, il perd naturellement en diversité, donc en nuances. »

Autre postulat, avancé depuis cinquante ans par les partisans du clonage, et que conteste notre pépiniériste énervé, l’idée qu’une armée de clones d’un seul cep de merlot, de cabernet ou de grenache peut offrir une résistance durable contre les maladies virales. Contestable, parce que dès qu’une maladie, à force de mutations, finit par toucher un plant, elle ravage d’un coup … tout un vignoble. « C’est en partie ce qui explique qu’aujourd’hui 75% des vignes françaises sont composées de cépages sensibles », assure Bérillon. « Sensible », autrement dit des vignes en voie de dépérissement à cout ou à moyen terme.

Et la tentation qu’ont les vignerons d’arracher les plants malades pour replanter massivement du végétal tout neuf serait une autre catastrophe pour les amateurs de bons crus, estime-t-il. « Parce qu’il faut savoir qu’un plant de vigne traditionnel a la durée de vie d’un homme, de cinquante à cent ans – parfois davantage. Ce n’est pas le cas d’un plant cloné, qui ne dure que de quinze à vint-cinq ans. Or, vint-cinq ans, c’est le temps qu’il faut pour qu’une vigne atteigne sa maturité et donne un vin qui ait une âme. Dès qu’un plant accède à ce qu’il peut donner de mieux, il meurt. On marche sur la tête ! »
Une affirmation confirmée par Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992 et patron du Bistrot du Sommelier à Paris : « Il faut que la vigne ait le temps de prendre possession de son terroir, de bien enfoncer ses racines à plusieurs mètres et d’y puiser les oligo-éléments pour donner une vraie personnalité à un vin. Une personnalité unique, comme l’est son sol. »

Mais comment enrayer la machine à standardiser les saveurs dans un paysage composé de vignes ç courte vie ? Tout simplement en recueillant et en replantant les sarments issus des vieilles vignes, doc, non clonées. On écrit «tout simplement», mais cette sélection dite « massale » (par opposition à la sélection clonale) est délicate. Elle exige de la technicité et beaucoup de patience.
C’est précisément la mission que s’est assigné » Lilian Bérillon depuis une quinzaine d’années : constituer ce qu’il nomme son « arche de Noë », soit une collection de sarments en voie d’extinction, indemnes encore des tripatouillages de la génétique. Un peu partout en France et en Europe (Italie, Espagne, Allemagne), l’homme se rend dans les vignobles qu’il sait prometteurs et prend le temps d’observer la tenue des pieds, la couleur des feuilles, la taille des raisins des raisins juste avant la vendange. Pas de précipitation : il revient deux ou trois années de suite pour être sûr d’emporter dans sa besace un sarment sain. « A ma grande surprise, aucun vigneron, jamais ne m’a demandé d’argent en échange d’un sarment. Même les propriétaires les plus prospères comprennent la démarche et me laisse entrer. » Ce sarment est ensuite greffé à un porte-greffe, mis en terre dans sa pépinière, et bichonné comme un trésor, avant d’être livré aux quelques 200 clients qui font appel à ses services. En une grosse décennie, son arche s’est étoffée d’environ 4000 individus, représentant une quarantaine de cépages les plus authentiques d’Europe.
Lilian Bérillon, fils et petit-fils de pépiniériste viticole, se montre scrupuleux dans son travail, pour ne pas dire hyper stressé. « Mes amis me conseillent souvent la méditation », reconnait-il en souriant, lui qui parle vite, dort peu et a divorcé deux fois « en raison d’un surinvestissement dans le boulot ». C’est d’ailleurs par refus d’une situation professionnelle qu’il jugeait trop confortable et trop peu honnête qu’en 2000, il a claqué la porte du groupement agricole où il œuvrait comme vendeur de ceps. « Je n’avais même pas 30 ans, je gagnais l’équivalent de 10 000 euros par mois. Mais le vendais des ceps clonés à des prix élevés, sans me soucier de ce qu’il adviendrait d’eux. Un jour, je n’ai plus pu me regarder dans la glace ; j’ai revendu ma Mercedes et je suis repart de zéro avec l’idée de travailler en respectant les hommes et les plantes. »

« Le Jour où il n’y aura plus de vin » n’épargne d’ailleurs pas quelques-uns de ses confrères pépiniéristes, jugés trop âpres au gain, voire franchement cyniques. Forcément, quand leurs plants de vigne clonés ont une durée de vie limité, ils en écoulent davantage… Un propos qui fait sursauter David Amblevert, président de la Fédération française de la Pépinière viticole (FFPV), à laquelle Lilian Bérillon adhère : « Attention aux discours simplistes ! Les plants clonés peuvent tenir quarante ans, voire plus, c’est scientifiquement prouvé. Et la sélection clonale ne vas à l’encontre de la diversité : il existe près de 300 cépages en France ? c’est une richesse patrimoniale que le monde entier nous envie. Je ne peux pas non plus laisser dire que le clonage est le fautif du dépérissement du vignoble, quand des dizaines de causes ont été identifiées. »

Même si Lilian Bérillon insiste sur le fait que le clonage est « un système qui arrange beaucoup de monde », notamment les vignerons produisant industriellement du vin peu qualitatif, ses coups de griffe contre les pépiniéristes ne passent pas inaperçus. « Il a reçu un coup de fil d’un responsable de le FFPV, témoigne Laure Gasparotto, journaliste au « Monde » et coauteur de son essai. Il lui a dit : « Si les confrères veulent t’exclure de la Fédé, je ne pourrai rien pour toi… » C’est un vrai risque qu’il prend, car ce serait difficile pour lui de poursuivre son activité sans l’appui de la FFPV ? » Mais Bérillon a la peau dure. Quand en 2004, il a démissionné de la présidence des pépiniéristes du Vaucluse et de la vice-présidence de la FFPV, parce qu’il défendait le droit d’emprunter les méthodes de l’agriculture bio (une hérésie dans sa profession), il a subi la vengeance de quelques aimables confrères : « Ils m’ont dénoncé auprès des services de l’Etat, j’ai dû supporter tous les contrôles possibles et inimaginables… »

Mais le jeu en vaut la chandelle, jure-t-il. Il faut d’ailleurs l’entendre parler de son travail pour le comprendre : il s’étend longuement sur le choix de laisser reposer le sol longtemps (de cinq à sept ans) avant de replanter, le choix de lui donner peu d’eau, de ne pas le gaver d’engrais, de pratiquer des greffes à l’ancienne - comme le faisait sa mère -, de tailler les sarments  en respectant le sens de la sève pour se prémunir contre les maladies…Ce savoir-faire, indispensable pour fabriquer les meilleurs crus, coûte évidemment cher (« Trois fois le prix d’un plant ordinaire »,  reconnait-il), mais il ne le réserve pas aux plus fortunés de ses clients comme le Château Latour possédé par François Pinault ou le Cheval Blanc de Bernard Arnault. « Je travaille aussi avec le domaine Roche-Audran dans le Vaucluse ou le Mas de Libian en Ardèche, qui produisent des bouteilles entre 8 et 15 euros. Pour eux, c’est un investissement élevé mais rentable à long terme, car de bons ceps , correctement entretenus, passerons des décennies. »

Le monde viticole commence en effet à affronter une dure réalité : celle du réchauffement climatique et de sa fatale conséquence, le stress hydrique. Autrement dit, l’insuffisance d’eau dans les sols, qui hâte encore le dépérissement de la plupart des plants. La plupart…mais pas ceux de Lilian Bérillon. « Quand on lui a laissé le temps de bien enfoncer ses racines, qu’on l’a bien entretenu, un plant est allé chercher de la fraîcheur dans les profondeurs du sol. Et il sera naturellement résistant au réchauffement, sans qu’il soit besoin de créer de nouvelles variétés en éprouvettes, comme c’est le cas aujourd’hui. »

Retrouver le bon sens, le temps long et les gestes du passé plutôt que de s’activer dans un labo. Pour l’homme de Jonquières, « ce n’est pas simplement une philosophie pour le vin : c’est une philosophie pour la vie ».


‘’Qu’avons-nous fait de notre patrimoine ? ‘’

Dans l’ouvrage ‘’Le Jour où il n’y aura plus de vin(*)’’, Lilian Bérillon lance un cri d’alarme.
Extraits :

je suis fatigué. J’aimerais tellement que les vignerons comprennent mon message. Que la presse l’explique, que les consultants me fassent intervenir ; c’est mon métier, le végétal. Mais ce métier n’existe plus, le vignoble se dépérit et personne ne réagit. C’est dur, très dur. Pas un seul jour ne passe sans que mon travail m’obsède. Je souhaiterais que la viticulture réfléchisse différemment, qu’elle prenne le temps, qu’elle remette en pratique des règles simples de bons sens. […]

Les vignerons ont oublié beaucoup de gestes qui faisaient partie de leur métier. Lors de mes expéditions dans les vignobles, je remarque des pratiques totalement irrespectueuses. Rien ne m’agace plus de visiter un domaine dont le chai est flambant neuf et le vignoble en mauvais état. Souvent, l’investissement s’effectue dans le visible, pas dans la matière première. Or un vignoble doit être entretenu au même titre qu’il faut refaire les peintures, les toitures ou autre réparations dans une batisse. Ensuite, même si le vigneron acquiert les plus beaux plants du monde, issue des meilleures sélections et cultures, s’il ne prépare pas son sol à les recevoir, il perd tout l’intérêt de la qualité des plants. Ses gestes se révèlent aussi importants que l’état sanitaire de son végétal […]
La recherche aujourd’hui travaille sur des nouvelles variétés, davantage résistantes. Et la viticulture applaudit. Elle en veut. Les scientifiques affirment qu’avec ces nouveaux clones, on aura moins recours aux produits chimiques. Mais on prend le problème à l’envers. Dans le vignoble, il existe déjà des plants qui ont résisté aux aléas climatiques, qui ont une mémoire. Il faut partir à leur recherche. Ces variétés anciennes apportent souvent de la fraîcheur dans les assemblages. On trouve qu’il y a davantage d’alcool dans les vins aujourd’hui. Or, il existe déjà des vieux cépages qui produisent moins d’alcool, comme le cinsault, et qui permettent d’équilibrer les vins. Grâce à eux, le vigneron se retrouve avec une qualité de récolte plus équilibrée, moins alcoolisée. Mais il faut accepter de prendre plus de temps […]

Qu’avons-nous fait de notre patrimoine ? Et si un jour, à force de jouer avec le vivant, d’accélérer son temps de reproduction pour le vendre, il n’y avait plus de vignes ?
Comme l’humain, la vigne ne devrait pas être un moyen, un objet d’échange, mais une fin en soi. Certes, on parle de végétal, mais on ignore à quel point nous sommes liés à lui. On est bien parvenus à faire entrer dans nos lois le fœtus comme un individu. Désormais, quand je parle d’un cep, c’est-à-dire d’un pied de vigne, je parle d’un être vivant à part entière, avec sa beauté, sa force et ses faiblesses, ses spécificités. […]

Comment accepter que la vigne soit malade ?
Intrinsèquement malade. Lors d’une réunion du syndicat, j’ai mis la culture biologique à l’ordre du jour. Le sujet de l’environnement me semblait aller de soi. En réunion, le sujet a été abordé deux minutes. Le temps pour un pépiniériste de lancer : « Quel est le con qui a mis les plants bio à l’ordre du jour , On sort déjà d’une période difficile ! »
On n’en a plus parlé. C’était violent. J’ai tout de même opté pour la culture biologique dans ma pépinière.[…]

Aujourd’hui, la pépinière française se porte mieux car elle a obtenu des subventions européennes. Conséquence : la plupart des plants vendus aux vignerons le sont grâce aux aides dont ils bénéficient.
Moins regardants sur la qualité des plants, les vignerons reçoivent environ 10000 euros pour un hectare planté. Moi, je me suis mis en marge de ce système préorganisé. En 2015, je suis le seul des 608 pépiniéristes français.

© Grasset 2018
(*) Par Lilian Bérillon et Laure Gasparotto, éditions Grasset


Bonne lecture.  Claude F. le 23.02.

1 commentaire:

  1. Les vignerons du centre alertés depuis des années par la perte de nombreux pieds par l'esca ont créés une structure Ceps Sicavac pour l'amélioration de la qualité des plants .Sur une parcelle du Giennois une vigne témoin à été plantée de sauvignon en sélection massale avec quelques clones .Les greffes sont faites par 4 pépiniéristes sélectionnés.

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