Viticulture : regard sur les pépiniéristes viticoles
Viticulture par
Arnaud Gonzague (L’Obs du 22.02.2018)
Lilian Bérillon dénonce le
clonage des vignes françaises. Et sillonne l’Europe à la recherche de sarments
anciens pour sauver notre patrimoine national.
Drôle d’endroit, pour rencontrer un lanceur d’alertes ; à Jonquières (Vaucluse), Lilian Bérillon vit et travaille dans la pépinière qui porte son nom – un beau terrain calme où s’alignent les pieds de vigne noirs, encore endormis sous l’hiver. Ce pépiniériste viticole, dont le métier consiste donc à cultiver les plants livrés aux viticulteurs, en a gros sur le cœur.
Le titre un peu apocalyptique de son essai (voir les bonnes feuilles en fin de l’article) le dit assez : « Le Jour où il n’y aura plus de vin ».
Quoi ?
Plus de vin au pays des
Chevaliers de Tastevin et de la licence IV, premier exportateur mondial ?
« Le titre est un peu provocateur mais hélas, il est a peine
exagéré, soupire ce quadragénaire inquiet à l’accent provençal fleuri comme
une prairie. Nous sommes dans une situation
d’urgence : il faut sauver la diversité du patrimoine viticole.
Selon lui, l’âme de la plupart
des vins français est en train de foutre le camp. On ne parle pas ici de grands
crus, mais de 95% des vins abordables que M. et Mme Tout-le Monde
apprécient et qui seraient en voie de standardisation massive.
En cause ?
Une pratique agronomique
majoritaire dans la viticulture tricolore : le clonage. Oui, oui, il s’agit
bien de la technique de reproduction génétique qui a permis la naissance de la
brebis Dolly en 1996. C’est un fat peu connu, mais le clonage des cépages
concerne la quasi-totalité des vignes françaises (voir infographie ci-contre) et se pratique depuis les années 1960.
« Le rendement des vignes qui avaient été ravagées par de nombreuses
maladies, dont le mildiou et le phylloxéra depuis la fin du XIXème
siècle, était jugé insuffisant à cette époque, raconte Michel Bettane,
célèbre critique de vin, coauteur du ‘’Guide Bettane et Desseauve’’. La science a donc décidé de choisir les
individus les plus résistants aux maladies dans chaque variété de cépage, puis
de les cloner. » Une technique qui a fait exploser la productivité du
vignoble, mais qui outrage les oenophiles, selon Lilian Bérillon : « Un vin est comme un groupe de copains :
sa richesse provient de la diversité des individus qui le composent. Si tous
les raisins d’un cru sont à l’identique, il perd naturellement en diversité,
donc en nuances. »
Autre postulat, avancé depuis
cinquante ans par les partisans du clonage, et que conteste notre pépiniériste
énervé, l’idée qu’une armée de clones d’un seul cep de merlot, de cabernet ou
de grenache peut offrir une résistance durable contre les maladies virales.
Contestable, parce que dès qu’une maladie, à force de mutations, finit par
toucher un plant, elle ravage d’un coup … tout un vignoble. « C’est en partie ce qui explique qu’aujourd’hui
75% des vignes françaises sont composées de cépages sensibles », assure
Bérillon. « Sensible », autrement dit des vignes en voie de dépérissement
à cout ou à moyen terme.
Et la tentation qu’ont les
vignerons d’arracher les plants malades pour replanter massivement du végétal
tout neuf serait une autre catastrophe pour les amateurs de bons crus,
estime-t-il. « Parce qu’il faut
savoir qu’un plant de vigne traditionnel a la durée de vie d’un homme, de
cinquante à cent ans – parfois davantage. Ce n’est pas le cas d’un plant cloné,
qui ne dure que de quinze à vint-cinq ans. Or, vint-cinq ans, c’est le temps qu’il
faut pour qu’une vigne atteigne sa maturité et donne un vin qui ait une âme.
Dès qu’un plant accède à ce qu’il peut donner de mieux, il meurt. On marche sur
la tête ! »
Une affirmation confirmée par Philippe
Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992 et patron du Bistrot du Sommelier
à Paris : « Il faut que la
vigne ait le temps de prendre possession de son terroir, de bien enfoncer ses
racines à plusieurs mètres et d’y puiser les oligo-éléments pour donner une
vraie personnalité à un vin. Une personnalité unique, comme l’est son sol. »
Mais comment enrayer la machine à
standardiser les saveurs dans un paysage composé de vignes ç courte vie ?
Tout simplement en recueillant et en replantant les sarments issus des vieilles
vignes, doc, non clonées. On écrit «tout
simplement», mais cette sélection dite « massale » (par opposition à la
sélection clonale) est délicate. Elle exige de la technicité et beaucoup de
patience.
C’est précisément la mission que
s’est assigné » Lilian Bérillon depuis une quinzaine d’années :
constituer ce qu’il nomme son « arche
de Noë », soit une collection de sarments en voie d’extinction, indemnes
encore des tripatouillages de la génétique. Un peu partout en France et en
Europe (Italie, Espagne, Allemagne), l’homme se rend dans les vignobles qu’il
sait prometteurs et prend le temps d’observer la tenue des pieds, la couleur
des feuilles, la taille des raisins des raisins juste avant la vendange. Pas de
précipitation : il revient deux ou trois années de suite pour être sûr d’emporter
dans sa besace un sarment sain. « A
ma grande surprise, aucun vigneron, jamais ne m’a demandé d’argent en échange d’un
sarment. Même les propriétaires les plus prospères comprennent la démarche et
me laisse entrer. » Ce sarment est ensuite greffé à un porte-greffe,
mis en terre dans sa pépinière, et bichonné comme un trésor, avant d’être livré
aux quelques 200 clients qui font appel à ses services. En une grosse décennie,
son arche s’est étoffée d’environ 4000 individus, représentant une quarantaine
de cépages les plus authentiques d’Europe.
Lilian Bérillon, fils et
petit-fils de pépiniériste viticole, se montre scrupuleux dans son travail,
pour ne pas dire hyper stressé. « Mes
amis me conseillent souvent la méditation », reconnait-il en souriant,
lui qui parle vite, dort peu et a divorcé deux fois « en raison d’un surinvestissement dans le boulot ». C’est
d’ailleurs par refus d’une situation professionnelle qu’il jugeait trop
confortable et trop peu honnête qu’en 2000, il a claqué la porte du groupement
agricole où il œuvrait comme vendeur de ceps. « Je n’avais même pas 30 ans, je gagnais l’équivalent de 10 000 euros
par mois. Mais le vendais des ceps clonés à des prix élevés, sans me soucier de
ce qu’il adviendrait d’eux. Un jour, je n’ai plus pu me regarder dans la glace ;
j’ai revendu ma Mercedes et je suis repart de zéro avec l’idée de travailler en
respectant les hommes et les plantes. »
« Le Jour où il n’y aura
plus de vin » n’épargne d’ailleurs pas quelques-uns de ses confrères
pépiniéristes, jugés trop âpres au gain, voire franchement cyniques. Forcément,
quand leurs plants de vigne clonés ont une durée de vie limité, ils en écoulent
davantage… Un propos qui fait sursauter David Amblevert, président de la
Fédération française de la Pépinière viticole (FFPV), à laquelle Lilian
Bérillon adhère : « Attention
aux discours simplistes ! Les plants clonés peuvent tenir quarante ans,
voire plus, c’est scientifiquement prouvé. Et la sélection clonale ne vas à l’encontre
de la diversité : il existe près de 300 cépages en France ? c’est une
richesse patrimoniale que le monde entier nous envie. Je ne peux pas non plus laisser
dire que le clonage est le fautif du dépérissement du vignoble, quand des
dizaines de causes ont été identifiées. »
Même si Lilian Bérillon insiste
sur le fait que le clonage est « un
système qui arrange beaucoup de monde », notamment les vignerons
produisant industriellement du vin peu qualitatif, ses coups de griffe contre
les pépiniéristes ne passent pas inaperçus. « Il a reçu un coup de fil d’un responsable de le FFPV, témoigne
Laure Gasparotto, journaliste au « Monde » et coauteur de son essai.
Il lui a dit : « Si les
confrères veulent t’exclure de la Fédé, je ne pourrai rien pour toi… » C’est
un vrai risque qu’il prend, car ce serait difficile pour lui de poursuivre son
activité sans l’appui de la FFPV ? » Mais Bérillon a la peau
dure. Quand en 2004, il a démissionné de la présidence des pépiniéristes du
Vaucluse et de la vice-présidence de la FFPV, parce qu’il défendait le droit d’emprunter
les méthodes de l’agriculture bio (une hérésie dans sa profession), il a subi la
vengeance de quelques aimables confrères : « Ils m’ont dénoncé auprès des services de l’Etat, j’ai dû supporter tous
les contrôles possibles et inimaginables… »
Mais le jeu en vaut la chandelle,
jure-t-il. Il faut d’ailleurs l’entendre parler de son travail pour le comprendre :
il s’étend longuement sur le choix de laisser reposer le sol longtemps (de cinq
à sept ans) avant de replanter, le choix de lui donner peu d’eau, de ne pas le gaver
d’engrais, de pratiquer des greffes à l’ancienne - comme le faisait sa mère -,
de tailler les sarments en respectant le
sens de la sève pour se prémunir contre les maladies…Ce savoir-faire,
indispensable pour fabriquer les meilleurs crus, coûte évidemment cher (« Trois fois le prix d’un plant ordinaire »,
reconnait-il), mais il ne le réserve pas
aux plus fortunés de ses clients comme le Château Latour possédé par François
Pinault ou le Cheval Blanc de Bernard Arnault. « Je travaille aussi avec le domaine Roche-Audran dans le Vaucluse ou le
Mas de Libian en Ardèche, qui produisent des bouteilles entre 8 et 15 euros.
Pour eux, c’est un investissement élevé mais rentable à long terme, car de bons
ceps , correctement entretenus, passerons des décennies. »
Le monde viticole commence en
effet à affronter une dure réalité : celle du réchauffement climatique et
de sa fatale conséquence, le stress hydrique. Autrement dit, l’insuffisance d’eau
dans les sols, qui hâte encore le dépérissement de la plupart des plants. La
plupart…mais pas ceux de Lilian Bérillon. « Quand on lui a laissé le temps de bien enfoncer ses racines, qu’on l’a
bien entretenu, un plant est allé chercher de la fraîcheur dans les profondeurs
du sol. Et il sera naturellement résistant au réchauffement, sans qu’il soit
besoin de créer de nouvelles variétés en éprouvettes, comme c’est le cas aujourd’hui. »
Retrouver le bon sens, le temps
long et les gestes du passé plutôt que de s’activer dans un labo. Pour l’homme de
Jonquières, « ce n’est pas simplement une philosophie pour le vin : c’est une
philosophie pour la vie ».
‘’Qu’avons-nous fait de notre patrimoine ? ‘’
Dans l’ouvrage ‘’Le Jour où il n’y
aura plus de vin(*)’’, Lilian Bérillon lance un cri d’alarme.
Extraits :
je suis
fatigué. J’aimerais tellement que les vignerons comprennent mon message. Que la
presse l’explique, que les consultants me fassent intervenir ; c’est mon
métier, le végétal. Mais ce métier n’existe plus, le vignoble se dépérit et personne
ne réagit. C’est dur, très dur. Pas un seul jour ne passe sans que mon travail
m’obsède. Je souhaiterais que la viticulture réfléchisse différemment, qu’elle
prenne le temps, qu’elle remette en pratique des règles simples de bons sens. […]
Les vignerons ont oublié beaucoup de
gestes qui faisaient partie de leur métier. Lors de mes expéditions dans les
vignobles, je remarque des pratiques totalement irrespectueuses. Rien ne
m’agace plus de visiter un domaine dont le chai est flambant neuf et le
vignoble en mauvais état. Souvent, l’investissement s’effectue dans le visible,
pas dans la matière première. Or un vignoble doit être entretenu au même titre
qu’il faut refaire les peintures, les toitures ou autre réparations dans une
batisse. Ensuite, même si le vigneron acquiert les plus beaux plants du monde,
issue des meilleures sélections et cultures, s’il ne prépare pas son sol à les
recevoir, il perd tout l’intérêt de la qualité des plants. Ses gestes se
révèlent aussi importants que l’état sanitaire de son végétal […]
La recherche aujourd’hui
travaille sur des nouvelles variétés, davantage résistantes. Et la viticulture
applaudit. Elle en veut. Les scientifiques affirment qu’avec ces nouveaux
clones, on aura moins recours aux produits chimiques. Mais on prend le problème
à l’envers. Dans le vignoble, il existe déjà des plants qui ont résisté aux
aléas climatiques, qui ont une mémoire. Il faut partir à leur recherche. Ces
variétés anciennes apportent souvent de la fraîcheur dans les assemblages. On
trouve qu’il y a davantage d’alcool dans les vins aujourd’hui. Or, il existe
déjà des vieux cépages qui produisent moins d’alcool, comme le cinsault, et qui
permettent d’équilibrer les vins. Grâce à eux, le vigneron se retrouve avec une
qualité de récolte plus équilibrée, moins alcoolisée. Mais il faut accepter de
prendre plus de temps […]
Qu’avons-nous fait de notre
patrimoine ? Et si un jour, à force de jouer avec le vivant, d’accélérer
son temps de reproduction pour le vendre, il n’y avait plus de vignes ?
Comme l’humain, la vigne ne
devrait pas être un moyen, un objet d’échange, mais une fin en soi. Certes, on
parle de végétal, mais on ignore à quel point nous sommes liés à lui. On est
bien parvenus à faire entrer dans nos lois le fœtus comme un individu.
Désormais, quand je parle d’un cep, c’est-à-dire d’un pied de vigne, je parle d’un
être vivant à part entière, avec sa beauté, sa force et ses faiblesses, ses
spécificités. […]
Comment accepter que la vigne
soit malade ?
Intrinsèquement malade. Lors d’une
réunion du syndicat, j’ai mis la culture biologique à l’ordre du jour. Le sujet
de l’environnement me semblait aller de soi. En réunion, le sujet a été abordé
deux minutes. Le temps pour un pépiniériste de lancer : « Quel est le con qui a mis les plants bio à l’ordre
du jour , On sort déjà d’une période difficile ! »
On n’en a plus parlé. C’était
violent. J’ai tout de même opté pour la culture biologique dans ma pépinière.[…]
Aujourd’hui, la pépinière
française se porte mieux car elle a obtenu des subventions européennes.
Conséquence : la plupart des plants vendus aux vignerons le sont grâce aux
aides dont ils bénéficient.
Moins regardants sur la qualité
des plants, les vignerons reçoivent environ 10000 euros pour un hectare planté.
Moi, je me suis mis en marge de ce système préorganisé. En 2015, je suis le
seul des 608 pépiniéristes français.
©
Grasset 2018
(*)
Par Lilian Bérillon et Laure Gasparotto, éditions Grasset
Bonne lecture. Claude F. le 23.02.
Les vignerons du centre alertés depuis des années par la perte de nombreux pieds par l'esca ont créés une structure Ceps Sicavac pour l'amélioration de la qualité des plants .Sur une parcelle du Giennois une vigne témoin à été plantée de sauvignon en sélection massale avec quelques clones .Les greffes sont faites par 4 pépiniéristes sélectionnés.
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